Groupe /ethnie: Fang
Pays: Gabon
Culture: Fang
Objet: Collier
Nom vernaculaire:
N0 d’inventaire: 20957
Matériaux : Alliage cuivreux
Dimensions:
ø 13 épaisseur 3.7 H 3.2 cm

Poids : 1082 gr

Colliers, anneaux, bagues, chevillières et surtout bracelets, ont été produits dans toute l’Afrique de l’Ouest sous forme de bronzes (alliage de cuivre et d’étain) et de laitons (alliage de cuivre et de zinc) dans une grande variation de motifs, allant de formes sobres à des figures fort complexes, des fois fermés, des fois semi-ouverts, très fins ou lourds, parfois avec des décors très riches (1).

Un grand nombre de ces artefacts a été réalisé pour être utilisé et porté parmi d’autres décors corporels, bijoux, chaîne de cauris et verroteries diverses, y compris par les Fang et les Bulu du Cameroun, en Afrique centrale. Cependant, le but ornemental n’est pas le seul qui ait compté dans l’utilisation et le développement des bronzes et des laitons en Afrique: au-delà de l’aspect visuel, ces objets représentent aussi des richesses stockées, des avoirs précieux.

En posséder, si possible en grand nombre, souligne la position sociale de l’individu, le rend fier de son statut.

Chef Kwele (Gabon) avec une série de bracelets  (carte postale, source : delcampe.net)
Chef Dioula, Sénégal (carte postale, source : delcampe.net)

Ils peuvent être utilisés comme partie d’une dot (par ex. chez les Dan en Côte d’Yvoire), servir à des échanges commerciaux, à l’achat de biens ou de services ; ils peuvent avoir, de ce fait, une fonction monétaire. Historiquement, l’utilisation de bracelets comme monnaie est attestée dès l’an 1068 dans la ville de Tekrur, le long du fleuve Sénégal, puis par le voyageur Ibn Battuta en 1354, qui fait état d’utilisation de bracelets comme moyen de paiement dans l’achat de froments et d’esclaves (2).

bracelet Senoufo, Côte d’Ivoire, Smithsonian National Museum of African Art, O-N  2002 -23-4

Dans la littérature spécialisée, la distinction entre objet ornemental et objet monétaire a fait débat. Pour certains auteurs, elle ne correspondrait pas à la réalité du terrain et représenterait une vision purement occidentale  (3). On peut admettre, d’une manière très générale, que les objets les plus raffinés étaient destinés à l’usage personnel (photo ci-dessus),  les autres, à une fonction plus monétaire, avec toutes les réserves d’usage. L’échange des pièces entre commerçants, les origines et itinéraires suivis, ainsi que l’extraordinaire profusion des formes et des décors viennent compliquer leur étude.

De plus, la nomenclature varie selon les auteurs, elle n’est pas unitaire et souvent  générique (Cf. par ex. l’utilisation très répandue du mot torque, du latin torquere, tordre).
Dans les faits, la fonction monétaire de ces objets a été décelée par les Occidentaux tout au début de la découverte de l’Afrique. Dès le XVIème siècle, afin de faciliter les échanges, les Portugais se mirent à produire un grand nombre de pièces en différents alliages cuivreux, parfois décorés, appelés manillas, suivis par les Anglais dès le XVIIIème siècle (manillas de Birmingham) et enfin les Belges dans des fonderies d’Anvers, pour le compte des Portugais. Ce moyen de paiement, inspiré par les usages locaux et largement accepté, contribua à l’essor du commerce entre l’Europe et l’Afrique. Il est resté courant jusqu’à l’introduction forcée du billet de banque par les Anglais au Nigéria et le rachat par la Banque d’Angleterre en 1949 des alliages en circulation qui retrouvèrent ainsi le chemin des fonderies occidentales (4).

Exemples de manillas. Source : SCOTT SEMANS, manilla : money of the slave trade- coincoin.com/1024htm
Figure à droite : timbre-poste émis par les postes britanniques à l’occasion du retrait et remplacement des manillas.

Typicité
Le collier Fang de la collection Held, d’un poids de 1082 grammes, est évasé au centre et s’amincit vers les deux extrémités, les bouts légèrement courbés vers l’extérieur. Il présente deux faces travaillées en plans inclinés (trois si on le regarde en coupe). Des décors en creux, réalisés avec des motifs en arcs de cercle sur les deux faces, s’intercalent à des figures ou symboles géométriques. La fonte à l’intérieur du collier est brute ; en revanche, les surfaces externes sont d’apparence lisse, polie, et donnent au collier l’aspect d’un travail particulièrement soigné. Le collier a encore la particularité de présenter, sur une face, le dessin d’un varan. Selon l’hypothèse soutenue par Tessmann, dans son ouvrage sur les Pahouins (premier nom donné à un groupe Fang de l’intérieur du Gabon), le varan compterait parmi les animaux protecteurs de la communauté villageoise. Tessmann raisonne par analogie : sa déduction se fonde sur les pratiques connues en Egypte, où le varan était vénéré parce qu’il dévorait les œufs de crocodile (5).  Aussi, la présence d’un animal protecteur personnalise l’objet qui remplit  également la fonction de « talisman ». Symbole de statut social et d’identité, ce collier était porté par des femmes et, en signe de mariage,  n’était jamais enlevé. Dans la pièce de la collection Held, des usures prononcées sont visibles d’un côté, celui appuyant sur le cou, ce qui témoigne d’une utilisation prolongée de l’objet.

Vieille femme pahouine portant ce type de collier. Carte postale -  source: www.delcampe-net
Les hommes portaient également d’autres formes de colliers sur le front et autour du cou ; carte postale, source : www.delcampe-net. Cf. également TESSMANN p.191

L’aspect  jaunâtre du collier laisse supposer que l’alliage contient une bonne proportion de zinc (30%). L’adjonction de cet élément lors de la fonte avait pour but d’abaisser la température du point de fusion de l’alliage, tout en lui conférant de bonnes propriétés mécaniques. Le collier, réalisé dans un alliage adéquat, pouvait ainsi être mis en forme plus facilement. Selon Tessmann, les Fang obtenaient le cuivre par « les côtes » (5).
La question se pose donc de savoir si les matériaux utilisés par les fondeurs étaient autochtones ou d’importation.  L’utilisation de manillas d’origine européenne, refondues, n’est donc pas exclue, car elle évitait aux fondeurs Fang le pénible travail d’extraction du cuivre et suppléait à la rareté des matériaux sur place. Le zinc, moins cher que l’étain, contribuait aussi à rendre son utilisation plus attractive par les opérateurs occidentaux. De nombreuses questions demeurent.
Les décors gravés sont caractéristiques de l’art ornemental des Fang et retracent une combinaison de motifs h1 et  h2  ainsi que  k1 et  k2 illustrés sous la figure 200 p.219 de l’ouvrage cité de Tessmann et leur disposition sur les deux faces frontales (p.232, 4. Ciselure, fig. 222A). On les retrouve sur d’autres colliers conservés par exemple par le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren  (ill. a et b  EO 1964.58.142/EO7804.020.226) ou le Israel art Museum, ill. c (B97 – 0019)

Cf. également les pièces conservées par le MEG, dont ETHAF 049 994 ETHAF 049 995 ETHAF 049 996 datés du 18ème siècle ou encore le collier conservé par le Smithsonian National Museum of African Art, O-N 84-14-5

Notes :

  1.  Les fouilles archéologiques conduites à Igbo-Ukwu, à l’est du Nigeria ont mis à jour des bracelets, décorés ou non,  datés d’abord du 9ème siècle puis du 15ème. D’autres témoignages de voyageurs signalent la présence de bracelets en « beau cuivre rouge » au Royaume de Loango, dans actuelle République du Congo (des mines de cuivres, présentes dans la région, y étaient exploitées).  Selon toute vraisemblance la production de ces artefacts précède la présence européenne en Afrique. Leur origine semble se situer plutôt en Egypte ou chez les Féniciens.
  2. Le fait est rapporté par Al Bakri (1014-1094), un des plus grands conteurs et écrivains arabes du XIème siècle. Pour plus de précisions,  Cf. CHAVANE Bruno, Recherches archéologiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Ed Karthala p.38ss. Cf. aussi SCOTT SEMANS, African world coins, p.4
  3. Ibid, p.4
  4. Pour une typologie de ces « manillas » Cf. Scott Semans, Manilla : Money of the slave trade. Le sujet est largement traité par VANDERLEYDEN, dans une étude comparative. Des poids de manillas de 600 gr utilisés par les Portugais sont attestés en 1529 ; des manillas de 250-280 gr sont attestés en 1548 à Anwers. On a également connaissance de manillas bien plus lourdes. Pour ces auteurs, le phénomène des manillas comme valeur d’échange préexistait à la découverte de l’Afrique ; il ne s’agit pas d’une invention européenne. L’utilisation de manillas comme monnaie se termina le 1er avril 1949 par le retrait de quelque 31,5 mio de pièces par l’administration britannique au Nigeria, qui souhaitait remplacer ce moyen de paiement par sa propre monnaie. L’échange coûta cher au contribuable nigérian. L’administration locale permit de garder au maximum 200 pièces par personne à des fins décoratives ou funéraires.  L’échange fut commémoré par un timbre-poste édité le 1erseptembre 1953.
  5. TESSMANN, p.218
  6. Ibid, p.213-214

Bibliographie

  • BALLARINI Roberto, 2009, The perfect form: on the track of african tribal , Galleria Africa Curio, Milan (ed. originale en anglais et en italien: La forma perfetta : sulle tracce della moneta africana)
  • BLANDIN André, 1988 Afrique de l’ouest: Bronzes et autres alliages, Louvain
  • BRUYNINX Else, 1986, L’art du laiton chez les Dan et les Guéré-Wobé de la région du Haut-Cavally (Côte d’Ivoire), Gent, Ed. RUG
  • DUPRE Marie-Claude et PINCON Bruno,1997, Métallurgie et politique en Afrique centrale. Deux mille ans de vestiges sur les plateaux batéké Gabon Congo Zaire, Publié avec le concours du CNRS, Ed. Karthala
  • EUCOPRIMO Afrikanische Metallreifen als Wertmesser IV
  • TESSMANN Günter, Monographie ethnologique d’une tribu africaine de l’Afrique de l’ouest-Résultats de l’expédition « Pangwe » de Lübeck, 1907-1909 et d’exploration antérieures 1904-1907 (extraits), traduction publiée par FALGAYRETTES-LEVEAU Christine et LABURTHE-TOLRA Philippe, 2001, Fang, Editions Musée Dapper, p.167ss – ISBN 2-906067-36-9
  • FISHER Angela,1984, Africa Adorned, Abrams, ISBN 0810918234
  • HERBERT, Eugenia W. 1984,  Red Gold of Africa. Copper in precolonial History and Culture, University of Wisconsin Press ISBN 978-0-299-09604-5 (réédition 31.01.2003)
  • VANDERLEYDEN Roger, Afrikaanse Ringe: Geld of Niet? et bibliographie citée (ndlr : les remerciements de la rédaction vont à Monsieur Marten Niemantsverdriet, pour la traduction orale du texte, très appréciée)

espaceheld – janvier 2017/lr

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